L'Attracteur     No. 12     Automne 2001
LA REVUE DE PHYSIQUE
ISSN: 1205-8505

Téléportation, Scotty!

    On a tous, un jour, assisté à la scène : « Ce bon vieux capitaine Kirk s’installant sur le télépod de l’USS Enterprise, Scotty presse un bouton ou deux, le capitaine se dématérialise et hop! en quelques instants il se retrouve sur une certaine planète exotique, à des milliers de kilomètres de sa nef spatiale originelle ». Ce scénario découle d’une idée un peu loufoque des réalisateurs. Son seul objectif visait l’économie des coûts supplémentaires engendrés par les multiples scènes d’atterrissage du massif vaisseau. N’empêche, l’idée germa dans l’esprit des gens de physique et une trentaine d’années plus tard, une théorie plausible prenait forme.

    Certains s’exclameront : « La téléportation? Réalisable?!? ». D’accord, j’avoue que je cache un point crucial, la téléportation ne s’adresse qu’aux états quantiques. En 1993, une équipe de chercheurs internationaux composée, entre autres de deux Montréalais (Gilles Brassard et Claude Crépeau), démontra comment la théorie quantique rendait possible ce concept. La téléportation venait de passer de fiction à réalité… du moins, théoriquement parlant. Puis, quelques années plus tard, l’Autriche réalisa la première téléportation d’états quantiques et, depuis ce jour, la technique ne cesse de s’améliorer.

    Attention! Cette « téléportation » ne déplace pas un objet de A vers B, comme Kirk d’une planète à une autre, mais impose une décision dépendante et instantanée aux états quantiques de deux particules distantes. Autrement dit, l'interaction d'un objet (quantique) en A produit des répercutions spécifiques et spontanées en B. Par conséquent, aucune matière ne voyage. Seulement, d'une manière instantanée, l'objet en B (distinct de A) devient indiscernable de l'objet en A. Avec cette téléportation, on ne parle pas de « vitesse » de transmission, mais bien d’une transmission « instantanée ». Comment diantre est-ce possible?

    Grâce à la physique quantique! Le paradoxe d’EPR (Einstein-Podolsky-Rosen), énoncé en 1935, visait à démentir la physique quantique, mais n’eut comme réelle conséquence que de renforcer celle-ci et d'ouvrir ses horizons. Pour illustrer brièvement ce paradoxe, imaginez deux pêcheurs assez ingénieux. Ils amènent deux petits poissons-photons vivants (espèce en voie de disparition) à une mare assez spéciale. Située sur un monticule, cette mare est drainée par deux dérivations qui mènent à deux petites mares, en aval. Notez les petites écluses qui obstruent les dérivations (voir schéma). Nos pêcheurs jettent donc les petits poissons-photons dans la mare supérieure, les petites bêtes, selon la théorie quantique, se dissolvent en une espèce de « bouillie » quantique de poissons. Les pêcheurs ouvrent ensuite les écluses et le bassin se déverse également dans les deux petites mares inférieures. Une moitié de la bouillie de poissons se trouve ainsi dans chaque mare, donc un poisson (en bouillie quantique) par mare. Un des pêcheurs jette sa ligne dans une mare tandis que l’autre profite du beau temps et fait une sieste. Selon la théorie quantique, lorsque le pêcheur attrape le poisson de la mare de droite, le poisson de la mare de gauche sort simultanément, projeté près du paresseux pêcheur, qui, sans effort le ramasse. Le contact étroit entre les deux « poissons » durant un moment semble leur suffire pour rester toujours unis même séparés, comme par un lien mystérieux… De là, le clan d’Einstein croyait, en quelque sorte, affaiblir la théorie quantique, puisqu’elle suggère ainsi que les deux « poissons » soient reliés par un certain moyen de « communication », voyageant plus rapidement que la lumière, chose insensée… Le paradoxe resta en suspens jusque dans les années 80, où on vérifia l’effet EPR expérimentalement (voir L’Attracteur #8, Le paradoxe EPR). En effet, il semble que deux particules ayant interagit ensemble restent en « contact » instantané peu importe la distance qui les sépare. Si on dérange une particule du contact EPR, on perturbe instantanément l’autre.

Étape I Étape II
Étape III Étape IV... et voilà!

    Alors, existe-il un moyen de communication plus rapide que la lumière? Non, cette influence instantanée ne s’utilise malheureusement pas pour communiquer, car toute mesure perturbe aléatoirement l’état du système. Par conséquent, une perturbation sur les deux particules d'une paire EPR produit un effet tout aussi aléatoire qu’incontrôlable. Cette relation entre les particules ne permet pas de communication. Ouf! La relativité demeure intacte. La téléportation d’un message, par exemple, se déroule en deux étapes : une première sans délai (EPR) et une seconde limitée par la relativité. Mais, comment téléporter un message, un photon ou un atome si, en « l’observant », son état quantique s’autodétruit? Il faut agir… les yeux fermés! « Mais allez-vous finir par m’expliquer comment ça fonctionne!?! », me demanderez-vous?

    Plusieurs « méthodes » de téléportation existent mais obéissent aux mêmes principes. Mettons Scot aux commandes du téléporteur quantique. Il encode une information, disons le photon M, avec un état spécifique, comme par exemple, une polarisation de 45º. Au même moment, deux photons A et B, en corrélation quantique, sont émis avec une polarisation complètement aléatoire et indéterminée. À cette étape, « regarder » les photons, conduirait à détruire leur relation quantique. Ils entretiennent cependant un rapport bien précis. Ils possèdent des polarisations complémentaires! Par exemple, si la polarisation du photon A vaut 0º (polarisation horizontale) alors celle du photon B mesurera 90º (polarisation verticale). On sépare ensuite les photons, l’un va vers l’émetteur et l’autre vers le récepteur. Le photon A arrive donc en même temps que le photon M de Scot au cristal non-linéaire qui enchevêtre les états quantiques des deux photons. À la sortie, la polarisation des photons devient soit complémentaire, soit supplémentaire. Lors de la mesure, si les deux « détecteurs » s’allument, alors A et M se révèlent complémentaires (polarisation opposée) et le photon B, complémentaire à A, devient immédiatement polarisé de la même façon que M, soit à 45º. Cependant, si un seul « détecteur » s’allume alors les photons se montrent supplémentaires (même polarisation), B devient spontanément complémentaire à M, soit une polarisation de 135º. Kirk, lui, ne voit qu’un des deux détecteurs s’allumer, soit 45º ou 135º, mais il ignore le lien entre A et M à l’autre bout de la planète et, par conséquent, la relation entre B et M. Alors Scot utilise son télécom, un appareil standard, limité par la vitesse de la lumière et informe Kirk de la complémentarité des photons. Le capitaine en déduit que le photon B, polarisé à 45º, équivaut à celui du message, le photon M. Celui-ci s’est, en quelque sorte, « téléporté ».
Téléportation Quantique 101

L'orientation peut être de 45º ou de  135º, par exemple. Quoique semblable, les particules sont belles et bien différentes, même s'il ne suffît que d'une simple rotation pour qu'elles deviennent indiscernables!
Orientation.jpg (12999 octets)

    Bon d’accord, on réalise la téléportation d’états, mais quand viendra celle d’un humain? Un humain ou tout élément macroscopique ne possède pas de propriétés quantiques (à la manière d’un photon, voir Ils sont fous ces physiciens!), ce qui interdit leur téléportation ou leur dédoublement, jusqu’à nouvelle du contraire. Cependant, cette récente technologie permet de pousser davantage l’étude des ordinateurs quantiques et la cryptographie. Examinons le côté sécuritaire du processus dans ce domaine. La téléportation ne transmet qu’au destinataire un message. Aucune autre personne ne pourrait capter la transmission, sauf celle de la « clé », générée aléatoirement lors de la « combinaison quantique » de deux particules pour transcrire le message. De plus, lors de la téléportation quantique, le message se détruit (une fois combiné à A, le photon M n’existe plus sous sa forme originale) donc pas de fuite interne. Un système sans faille? L'agent 007 n'a qu'à se recycler dans la physique!


Merci à Alexandre Blais, qui s'assura que cet article contienne plus de science que de fiction!


DWM

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Bibliographie
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