L'Attracteur     No. 12     Automne 2001
LA REVUE DE PHYSIQUE
ISSN: 1205-8505

Bienvenue dans la 2ième dimension

    Jeunes, mes amis et moi jouions souvent avec une catégorie de jouets nouvellement mise sur le marché de l'époque, les micromachines. Ces voitures, avions et bateaux dont la valeur se trouvait, à nos yeux, inversement proportionnelle à leur taille, nous les collectionnons avec un malin plaisir. À l’Université de Sherbrooke, des grands enfants s’amusent avec des jouets vraiment plus petits que ceux offerts dans les boutiques : les microstructures quantiques.

    Construites à l’aide des techniques modernes de croissance cristalline, comme l’épitaxie par jet moléculaire, les microstructures quantiques désignent des structures, généralement composées de semiconducteurs, si petites que ses « habitants », les électrons, subissent des effets quantiques. Ces éléments, en fonction du confinement imposé, se nomment puits (2D), fils (1D) ou point (0D) quantiques. Le confinement, qui bouleverse complètement les comportements des électrons, altère subséquemment les propriétés optique et électronique de ces structures. Extrêmement miniaturisées, ces microstructures conçues « sur mesure » répondent à des besoins électroniques ou optoélectroniques très précis en matière de technologie.
    «Confiner un électron… comment vous faites ça?« Il suffit de soumettre cet électron à des forces l’obligeant à rester en place. On peut représenter la scène par un profil de forces où les électrons peuvent posséder des énergies plus faibles s’ils se trouvent dans le semiconducteur B que dans le A. D’un point de vue classique, on confine notre lapin-électron en le plaçant dans un puits dont les parois sont trop élevées pour être escaladées. La particule quantique dans le puits possède plusieurs états d’énergie possibles (voir Ils sont fous ces physiciens). On représente schématiquement ces énergies par des plateaux (voir ci-contre). Pour une largeur notable du semiconducteur B, ces plateaux sont très rapprochés. Le saut d’énergie entre ces plateaux est, en effet, inversement proportionnel à la largeur du puits. Cependant, la révélation quantique survient lorsque la largeur de B prend des dimensions microscopiques. En effet, à cette échelle, les différents niveaux d’énergie deviennent perceptibles. Dans une telle structure, le confinement ne se réalise pas systématiquement, car l’électron se balade d’un niveau d’énergie à un autre, à son gré. En abaissant la température sous les 1K (-272 °C), l’énergie disponible devient la plus faible possible. Alors la seule alternative au pauvre lapin frigorifié, consiste à se placer dans le mode «économique« : le mode de vibration du premier niveau (voir ci-contre, l’énergie E1). Telles les cordes d’une guitare, les particules « vibrent » selon différents modes et empruntent différentes énergies (après tout, ce sont aussi des ondes).
D'un point de vue "Classique"

D'un point de vue "classique", où le plateau de A est plus haut que B, le paresseux lapin, en B, ne sautera pas par dessus le plateau (admettant que la température demeure basse). Qui plus est, si la largeur Delta z de B devient très petite, le lapin sera restreint à se déplacer selon les axes x et y uniquement.
Schéma 
	des niveaux d'énergie agradi au moyen d'une loupe (6603 octets) Schéma des niveaux 
	d'énergie bien distinct (2594 octets)

Lorsque la largeur de "B" est macroscopique
Lorsque la largeur de "B" est microscopique

    Lors d’un confinement, l’énergie totale ne devient jamais nulle (principe d’incertitude d’Heiseinberg). De plus, deux particules ne peuvent posséder simultanément les mêmes vitesses. Pour ces raisons et parce que la quantification de l’énergie ne se dévoile qu’aux dimensions microscopiques, différents phénomènes deviennent observables lors d’un confinement. L’énergie d’un tel système se définit par la formule: E = ½ mvx2 + ½ mvy2 + en. On reconnaît rapidement les simples composantes du mouvement « classique », ½ mvx2 et ½ mvy2 mais où est partie la composante z? Dans la figure ci-contre, les deux premiers modes de vibration d’un électron apparaissent « coincés » entre deux barrières de potentiel. Sous les axes x et y (dans B), l’électron vibre à sa guise, se baladant ici et là en empruntant différentes énergies. Toutefois, en z, le pauvre est limité à l’énergie allouée et, à basse température, seulement à l’énergie E1. Voilà le confinement quantique. L’électron peut vibrer de multiples façons dans le plan x-y, mais ses choix sont réduits sous l’axe z. Connaissant l’énergie attribuée par l’axe despotique, l’étude des phénomènes exotiques, produits lors du confinement, devient possible. La physique fondamentale a donc quelque chose à se mettre sous la dent! Au Département de physique de l’Université de Sherbrooke, René Côté se penche, entre autres, sur les phénomènes tels que l'effet Hall quantique, la cristallisation des électrons (cristal de Wigner), les excitations topologiques (skyrmions, mérons) et à certaines transitions de phase du gaz d’électrons dans les doubles puits quantiques (des microstructures quantiques formées de deux puits quantiques séparés par une barrière de potentiel, voir Deux puits valent mieux qu'un!).

Représentation des 
	fonctions d'onde associées aux deux premiers niveaux d'énergie
	dans un puits de potentiel (22283 octets)


Ça ne vous en dit pas encore assez? Laissez-moi donc vous donner une meilleure idée. Comme cité précédemment, l’effet Hall quantique émerge, comme plusieurs autres phénomènes, du confinement d’un gaz d’électrons. « Oui, mais c’est quoi? » L’effet Hall quantique représente, parallèlement à l’effet Hall classique (oh! surprise!), le phénomène observé lorsqu’un puits quantique (donc 2D) est soumis à un champ magnétique perpendiculaire (dans notre cas, dans la direction z). Sous l’effet de celui-ci, les niveaux d’énergie électronique (les plateaux du lapin) se subdivisent en sous niveaux d’énergie, appelés les niveaux de Landau, séparés par une énergie h barre omega comega c représente la pulsation cyclotron. Chacun de ces niveaux peut « abriter » un certain nombre d’électrons, le taux de remplissage des « appartements » Landau se note par nu égale N sur Nphi, où N est le nombre d’électrons et Nphi, la capacité des niveaux (combien d’électrons peuvent habiter dans le même « bloc appartement »). En diminuant l’intensité du champ magnétique, on s’attendrait à voir la conductivité augmenter linéairement, comme dans l’effet Hall classique, mais le résultat n’y correspond pas exactement. Certes la conductivité croît, mais par plateaux. Le graphe (voir ci-bas) montre la résistivité (ligne bleue) augmenter par plateaux lorsque le champ magnétique augmente. La prévision classique est représentée en rouge.
Graphique de resistivité (30225 octets)
L’ordonnée est graduée en fractions de h/e2 . D'une manière naturelle, un multiple de la constante h/e2 semble définir avec justesse chaque saut. Suite à cette découverte, de nouveaux étalons en matière de résistance ont été établis d'une manière des plus précises. Attention, il ne faudrait pas confondre les fractions ci-dessus avec l’effet Hall quantique fractionnaire, dont les auteurs se vinrent attribuer le prix Nobel de physique de 1998. Pour en savoir plus sur l'effet Hall classique et l'effet Hall quantique fractionnaire, jetez-vous vite sur votre copie du numéro 7 de L'Attracteur, Spécial Espace : Le prix Nobel 1998.


Représentation de la texture magnétique d’un skyrmion.
Représentation de la texture magnétique d'un skyrmion (6 051 octets)

    Il est aussi intéressant d’observer les effets produits lorsque le taux de remplissage avoisine un. Autrement dit, lorsqu'un « bloc appartement Landau » est rempli d'électrons et que le prochain « locataire » devra « déménager » dans le « bloc 2 », lui coûtant ainsi une énergie précise. Dans la région de remplissage 1, les électrons forment un état ferromagnétique dans lequel le sens de rotation de tous les électrons sur eux-mêmes est identique et orienté face à la source magnétique (spin haut). En conséquence, le niveau de Landau le plus près ou le plus proche « plateau » à escalader, pour un électron dans cette situation, serait de se « retourner » complètement. Autrement dit, de prendre un spin « bas ». Or, il n’est pas si simple de se retourner lorsque vous êtes un électron avec des milliers de voisins tout près de vous. En effet, il y a une certaine interaction entre les électrons. Ainsi, en tentant de se « retourner », notre électron met en branle tout un processus qui affecte ses proches, provoquant leur « renversement » partiel. Un peu comme si vous dormiez sur un lit d’eau et que votre partenaire se retournerait. Ceci donne au gaz d’électrons restreint dans deux dimensions, une texture magnétique, appelée skyrmion. Le skyrmion est un changement « global » des spins et l'orientation des spins des électrons entourant la particule rebelle semble former une sorte de vortex (voir image). Même formé de plusieurs particules, le skyrmion agit comme une seule particule grâce aux propriétés quantiques de l'électron : l'électron nouvellement ajouté est maintenant « présent » un peu partout dans le skyrmion. Ce faisant, le skyrmion interagit avec son milieu comme une particule! C’est pourquoi il joue un rôle important dans la physique des microstructures quantiques au taux de remplissage près de un. Ci-haut est illustré une image de topologie de spins, caractérisant le skyrmion. Pour vous donner une meilleure perception de l’effet d’un skyrmion, regardez ci-bas, une illustration animée du phénomène.

  Image animée d'un skyrmion (209199 octets)
Ici, chaque flèche représente le spin d'un électron. Notez le retournement individuel du spin de chaque électron, donnant ainsi naissance à une « simili » particule.
 

    Nous pouvons finalement constater que nous sommes bien loin d’être au bout de nos surprises et que l’univers quantique nous en réserve bien d’autres. Cependant, on ne peut qu’admirer les progrès technologiques impliqués. En effet, dans le domaine de l’optoélectronique, on conçoit des lasers non plus macroscopiques et ayant des fréquences imposées par la nature des gaz, mais bien microscopiques et possédant les fréquences précisément désirées par l’utilisateur. Non seulement stimulantes, les nouvelles découvertes en physique des semiconducteurs assurent ainsi le développement de nos connaissances du monde quantique promettant de futures applications littéralement surprenantes.


Tous mes remerciements au professeur René Coté qui a su investir son précieux temps à l'élévation de ma pauvre connaissance, requise à la rédaction de cet article.


DWM

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