Deux puits valent mieux qu'un!
Nous avons la chance, à l'Université de Sherbrooke, de posséder des
salles blanches à la fine pointe de la technologie. Une installation de classe M 3.5
(pour les connaisseurs) comprend tous les équipements nécessaires à la réalisation d'un
circuit intégré. Le laboratoire possède une double vocation, soit la formation des
étudiants de premier cycle dans le cadre de cours des programmes de génie électrique
et de physique, en plus d'être une partie importante de l'infrastructure exploitée par
de nombreux chercheurs de ces deux départements. Parmi plusieurs, mentionnons les
recherches sur les structures électroniques avancées telles que les H.E.M.T.
(High Electron Mobility Transistor) effectuées au Département de génie électrique et
génie informatique. Les dimensions réduites de ces structures, essentiellement du type
unipolaire, rendent nécessaire l'utilisation des modèles de type hydrodynamique.
Mis à part les ordinateurs quantiques, l'électronique actuelle semble se diriger
tout droit vers un mur, si elle ne révise pas bientôt ses méthodes mises au point
lors du dernier siècle.
Afin d'éviter le syndrome de la page blanche, lorsque la taille des composantes
engendrera des effets quantiques, la physique se doit d'étudier les comportements
fondamentaux de la matière, dont en particulier, les interactions entre électrons
dans les micro et nanostructures présentes et futures. Anticipant une réforme
majeure des principes de fonctionnement des dispositifs, les physiciens étudient,
entre autres, le comportement des électrons dans des systèmes à faibles dimensions.
De la compréhension du comportement électronique dans ces systèmes viendra le
développement du paradigme fondateur de l'électronique future.
L'un d'eux se nomme Serge Charlebois, étudiant au doctorat en physique à l'Université de Sherbrooke.
Son projet : rien de moins que l'étude du comportement des gaz électroniques dans les doubles puits
quantiques, par le biais de l'effet Hall quantique (voir Bienvenue dans la 2ième dimension).
Un double puits quantique se compose simplement de deux puits quantiques très très rapprochés
l'un de l'autre. La nature quantique des électrons amène leur délocalisation : il est à droite,
à gauche ou un peu dans les deux, car il se faufile dans la paroi par effet tunnel. « Et alors? »
Contrairement aux apparences, tout s'en trouve bouleversé! Voici, ci-haut un des dispositifs
permettant d'étudier les effets du double puits, conceptualisé et réalisé par Serge Charlebois.
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Support transportant le porte échantillon.
À gauche, les multiples connections servent à mesurer les effets du fort champ magnétique
sur l'échantillon à différents angles. Le tout est plongé à basse température (1K et moins). |
L'une des conséquences de cette délocalisation s'observe dans la conductivité. Parce que
l'électron se trouve à « deux endroits à la fois », une 2e échelle des niveaux de Landau
(voir l'
article précédent) se superpose à l'originale. En effet, en augmentant le champ magnétique,
les deux échelles de niveaux de Landau, jadis superposées, se « séparent ».
Cependant, une conséquence surprenante du dédoublement des niveaux provient,
sans aucun doute, du biméron, l'objet principal des recherches de Serge Charlebois.
Le biméron représente, parallèlement au skyrmion (voir
Bienvenue dans la
2ième dimension,
encore), une texture d'états. Si le skyrmion apparaît dans le puits simple comme une
texture de spin, transitant entre le haut et le bas, le biméron lui représente
une texture dans la position de l’électron. Le biméron s'avère en fait la « cartographie »
de la localisation des électrons entre le puits de gauche et celui de droite.
La représentation ci-bas illustre un biméron. Attention, bien que représenté comme un
champ de spin, le biméron n'en contient aucun. L'analogie provient du formalisme
mathématique utilisée pour décrire le biméron. Encore une fois, cette texture, bien
que composée d'un ensemble, agit comme une seule particule, de là l'intérêt de la recherche!
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Représentation typique d'un biméron.
Le biméron provient de la propriété d'un électron de se situer un peu dans les deux puits
à la fois... Les mathématiques liés aux spins sont utilisés pour représenter l'état
d'être dans le puits de gauche ou de celui de droite. |
Puisque le biméron ne se compose pas de spin (je le répète), sa détection ne peut pas découler
des mesures impliquant des propriétés magnétiques comme dans le cas du skyrmion. « Mais comment
diantre détecter cette “texturo-particule”? » Le physicien nous explique : « La propriété la
plus étonnante et spécifique au biméron provient de sa réaction aux champs magnétiques parallèles.
Bien sûr généré par un champ perpendiculaire, le biméron, contrairement au skyrmion, “s'étire”
sous l'influence d'un champ magnétique parallèle. Il devient anisotrope et on peut l'orienter et
l'allonger jusqu'à des proportions de 50 nm de large par 1 micron de long! » Ainsi, naquit l'idée,
chez l'homme de science, de mesurer l'anisotropie de transport.
Afin d'effectuer cette mesure, on construit une nanostructure en forme de pointes. En ajustant
la distance entre les pointes de façon à atteindre l'ordre du micron (10-6 m),
un biméron orienté en sa longueur (1) pourra s'y glisser plus facilement que dans l'autre sens
(2), altérant ainsi la résistivité du système. « Le biméron possède une certaine énergie de cohésion,
en perturbant le biméron (l'obliger à circuler dans le “couloir”) on altère la conduction du
gaz électronique. C'est cette altération qu'on veut mesurer! » explique le chercheur.
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Or quelques problèmes surviennent lorsque arrive le temps de l'expérimentation...
On charge électriquement les deux pointes afin de rétrécir davantage « l'espace » par
lequel passe la particule. Jusqu'à maintenant, pas de problème, mais vu de coupe
(parce que le double puits est créé d'une superposition de semiconducteurs) on
s'aperçoit que l'effet du champ électrique fausse grandement les données : le
passage se rétrécit davantage dans le puits du haut que dans celui du bas. Afin
de corriger la situation, l'astuce consiste à insérer une 3e
grille, séparée par un isolant. En appliquant différentes tensions électriques à la
grille, le « passage » devient plus uniforme. On vient donc de créer l'outil qui
servira à étudier le petit nouveau, le biméron.
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La nanostructure |
Le problème... |
La solution! |
Pas si vite! Les problèmes ne sont pas encore terminés! Mis à part la 3e
grille, ce système bien connu, se nomme un « point de contact quantique ». Situé entre les
deux réservoirs bidimensionnels, ce contact « ponctuel » entre les deux surfaces, s'apparente
à un fil quantique, donc à une dimension. Dès lors, toutes sortes de propriétés de plus en plus
bizarres apparaissent. Tout comme la transition 3D->2D, la transition 2D->1D amène un tas
d'autres effets dont je ne ferai pas mention ici.
En plus de paraître très épicée, la vie de chercheur semble bien mouvementée et hardie.
Par exemple, pendant la session d'hiver 2001 Serge Charlebois réalisa une douzaine d'échantillons
dans le but de les étudier. Désastreuse conséquence printanière : aucun d'eux ne fonctionne
correctement dus à de mauvais contacts. Armé de patience, il a tout recommencé.
Avis aux intéressés : patience, passion, persévérance et une bonne dose de détermination
semblent requises, pour atteindre ce moment si fugace en recherche, celui de la satisfaction
lors d'une découverte! Avis aux intéressés!
Je tiens spécialement à remercier Serge Charlebois qui, suite à plusieurs semaines
infernales composées d'une succession de mauvais fonctionnements, prit le temps de
m'accorder cette entrevue. Et à vous, physiciennes et physiciens qui vous lancez
en d'inconnues contrées, je vous souhaite le courage de venir à bout de vos ambitions…
DWM
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