L'Attracteur     No. 3     Automne 1996 LA REVUE DE PHYSIQUE ISSN 1207-0203

LE TRANSISTOR :
un dispositif qui doit son invention aux théories physiques

La théorie a été pendant de nombreuses années en retard sur la technologie. On inventait un appareil sur une base plus ou moins intuitive puis, par la suite, on réussissait à expliquer les concepts qui permettaient son fonctionnement. Prenons par exemple la machine à vapeur. Les premières machines à vapeur importantes furent construites au cours du XVIIIe siècle. Ce sont les machines de Savery (1698), de Newcomen (1712) et de Watt (1769). En 1802, la locomotive à vapeur faisait déjà son apparition. Néanmoins, les premières explications théoriques permettant de comprendre les phénomènes impliqués ne furent données qu’en 1824 avec la publication des Réflexions sur la puissance motrice du feu de Sadi Carnot. Cependant, depuis le début du XXe siècle, le processus invention-explication s’est inversé. Maintenant, la plupart des inventions technologiques proviennent d’un développement théorique préalable. L’un des exemples les plus percutants est sans aucun doute le transistor.
C’est l’étude des semiconducteurs, ces matériaux qui ont des propriétés électriques intermédiaires entre celles des métaux et celles des isolants, qui a conduit à l’invention du transistor. Ce composant électronique fut inventé par trois physiciens : Walter H. Brattain, John Bardeen et William B. Shockley. Ces trois chercheurs se sont rencontrés aux laboratoires industriels de Bell Telephone où ils ont travaillé ensemble sur l’étude des semiconducteurs. Aidés par les modèles de la physique quantique, ils présentèrent au mois de décembre 1947 un nouveau dispositif qu’ils appelèrent persistor, en référence à leurs efforts persistants. Ils venaient en fait de construire le premier transistor à pointes qui, une fois au point, leur a valu le prix Nobel de 1956. Ce transistor était formé d’une pastille de germanium sur laquelle étaient posées deux pointes métalliques rapprochées, d’où sa désignation par transistor à pointes. Ce type de transistor fut rapidement surpassé par les transistors à jonctions. En effet, le transistor à pointes avait deux grands défauts : sa fragilité et son bruit de fond. Le second type de transistors fut réalisé pour la première fois en 1951. Il découlait d’une étude théorique de Shockley. Dans son étude, Shockley montrait qu’une jonction constituée de deux cristaux semiconducteurs dopés différemment possédait des propriétés électriques dissymétriques et pouvait être utilisée comme diode. Le transistor qui fut élaboré grâce à cette théorie devint rapidement commercialisé. Depuis, des transistors de toutes sortes avec des performances variables ont été développés. Notons entre autres que le germanium a été remplacé par du silicium, beaucoup plus stable.
Suite à leur recherche commune sur les semiconducteurs, les trois inventeurs du transistor prirent des chemins divergents. Bardeen poursuivit des recherches sur les supraconducteurs et reçu un second prix Nobel en 1972. Brattain se dirigea vers l’enseignement et devint professeur à l’Université de l’État de Washington. Quant à Shockley, il entreprit des travaux en génétique et ses prises de position en faveur de l’eugénisme soulevèrent de grandes controverses.
L’invention du transistor a bouleversé notre monde moderne. Il a remplacé les lampes à triodes utilisées à l’époque. Tout comme ces triodes, le transistor permet d’amplifier, rectifier et faire osciller le courant. Le transistor a cependant l’avantage d’offrir des montages plus solides et de quelques millimètres cubes alors que les lampes à triodes étaient constituées d’un tube de verre cassant et quelques centaines de fois plus gros. De plus, le transistor n’a nul besoin d’un filament chaud émetteur d’électrons, ni d’une tension élevée. Quelques volts suffisent et la puissance consommée est très faible. De cette façon, le transistor a introduit une véritable révolution en électronique qui bouleversa notre société. C’est lui qui a rendu possible les ordinateurs et a modifié de fond en comble nos moyens de communication. Bref, c’est cette invention qui a rendu possible toute la microélectronique moderne.
Ainsi, la physique quantique a fourni les outils nécessaires à la compréhension de certaines propriétés de la matière. C’est cette compréhension qui est directement à l’origine des développements technologiques d’une si grande importance dans notre civilisation moderne. Le transistor n’est qu’une des nombreuses retombées dues aux développements théoriques, mais sa contribution est parmi les plus spectaculaires !


Mathieu Deschamps



Sources :

Dernière mise à jour: 13 novembre 1996.

Mise en page par Gilbert Vachon

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