L'Attracteur     No. 12     Automne 2001
LA REVUE DE PHYSIQUE
ISSN: 1205-8505

Pensez petit!

    L’avenir appartient à ceux qui pensent petit! Vous n’aviez pas remarqué? Tout se miniaturise. Pourquoi? Parce que le travail avec les petits trucs devient plus économique, plus rapide et plus pratique! À quoi doit-on la fulgurante augmentation de la vitesse des microprocesseurs selon vous? La miniaturisation… Eh oui! Le premier circuit intégré ressemblait à un gros tas, malhabilement empilé, de semiconducteurs. Son inventeur, Jack S. Kilby, reçut d'ailleurs le prix Nobel de physique 2000 pour ses efforts dans le développement des circuits intégrés. Maintenant, des milliers de connections tiennent sur le bout des doigts! (voir ci-contre) Plus la distance séparant les transistors rapetisse plus le temps de « communication » entre eux s’abrège. Au début, macroscopique, depuis quelques temps, microscopique, demain, nanoscopique, la taille des transistors diminue au rythme des progrès technologiques. À l’étape d’ébauche, cette nanoscience évolue de plus en plus et la réalisation de ces projets se concrétisera bientôt.

    Pas facile de travailler dans les nanostructures, voire difficile… À moins d’avoir une vision plus qu’exceptionnelle, les concepteurs des circuits de demain utiliseront des outils, du genre S.T.M., acronyme de Scanning Tunneling Microscope ou microscope à effet tunnel, si vous préférez. Ce microscope, le S.T.M. utilise l’effet tunnel afin de déterminer les détails topologiques d’une surface. Attention, je parle ici de détails aussi petits que la taille d’un atome!
Avant... Après

    « Pourquoi se compliquer la vie en inventant un gadget supplémentaire », me demanderez-vous. « Les microscopes optiques ne satisfont-ils pas nos exigences? » Ces microscopes offrent au mieux une résolution limitée à 200 nm, soit la plus petite longueur d’onde visible. Concevoir des microscopes du genre rayons X ou gamma, possédant une longueur d’onde bien plus petite se révèlerait dangereux, voire coûteux à cause des énergies impliquées. En outre, la réalisation d’une optique à haute fréquence s’avère pour l’instant impossible. En effet, les lentilles qui, d'ordinaire, dévient les rayons lumineux du spectre visible, deviennent complètement inefficaces aux fréquences supérieures… Zut! « Et les microscopes électroniques alors? » Ces microscopes permettraient, « théoriquement » de générer n’importe quelle longueur d’onde donnée par l’équation de de Broglie : l = h/p (où l est la longueur d’onde, p, la quantité de mouvement et h, la constante de Planck). Cependant, pour déployer une résolution d’environ 0.2 nm, comme le S.T.M., nous devrions accélérer les électrons à une vitesse avoisinant 6×106 m/s. Filant à environ 2 % de la vitesse de la lumière, ces électrons pénètreraient directement la plupart des échantillons, les perforants littéralement. La meilleur solution réside dans le microscope à effet tunnel.

    Wow! Ça utilise l’effet tunnel… mais c’est quoi au juste? Brièvement, l’effet tunnel provient d’une particularité de la mécanique quantique. Par exemple, si vous placez un lapin dans un trou (voir schéma), à moins qu’il ne puisse sauter à la hauteur du trou (ou plus haut), alors ce pauvre lapin restera « incarcéré » dans ce piège maléfique pour l'éternité. Cette réalité du point de vue classique devient tout autre du point de vue quantique, car le lapin peut se « faufiler » au travers du mur et s’échapper! Pour l’expliquer mentionnons qu’une fonction d’onde définit le lapin-quantique lui permettant d’« exister » un peu au travers du mur. Cela lui permet de s’y glisser... Mais attention, plus le mur s’épaissit, plus ses chances d’évasion s’amenuisent. N'essayez donc pas de foncer dans un mur, en espérant passer au travers!


L'effet tunnel
S.T.M.
    « Mais quel lien y a-t-il avec notre super microscope? » L’extrémité sous tension de la pointe du S.T.M., extrêmement pointue (voir schéma, page suivante), est rapprochée à une distance nanoscopique d’une surface à observer. Le tout se déroule sous vide, l’espace entre la pointe et la surface représente ici le « mur ». Les électrons, transportés par les atomes, obéissent aux lois quantiques et peuvent donc se « faufiler » au travers du vide (le mur). En situation classique, les électrons confinés à leur surface, ne pourraient sortir à moins qu’on leur donne un petit « coup de pouce » pour qu'ils « sautent » par dessus la barrière du vide, un peu comme notre lapin classique. Mais en réalité, les électrons agissent comme des particules quantiques et quittent la surface sans aide. Une légère différence de potentiel favorise la direction des « faufilements » et les électrons quittent la surface jusqu’à la pointe, créant ainsi un courant électrique. De plus, l’effet tunnel se révèle très sensible à la distance, disons « Dz », séparant la pointe de la surface. Autrement dit, l’épaisseur du mur influence directement ces « transferts », car la probabilité que l’onde électronique « traverse » le mur décroît de façon exponentielle par rapport à l’« épaisseur » du mur. En fait, si la distance séparant la pointe de la surface devient plus grande que 1 nm, aucun électron ne traverse. La clé principale du S.T.M. réside dans cette sensibilité, car en cartographiant les courants générés au passage de la pointe, dirigée par les piezos, on transforme en image la distribution topographique des électrons de cette surface. En utilisant cette méthode, on atteint des résolutions de l’ordre de 0.2 nm! Cet appareil arrive même à distinguer des variations aussi petites que 0.001 nm (approximativement le centième du diamètre d’un atome)! N'est-ce pas génial?
    Peut-être, mais pas tant que ça, car le S.T.M. possède un sérieux désavantage : son utilisation dépend directement de la conductibilité du matériel observé. En effet, la plupart des matériaux conduisent très peu l’électricité et, de surcroît, même les métaux, facilement oxydables, s’avèrent souvent difficiles à observer. Pour remédier à ce problème, on a légèrement modifié le S.T.M. pour le transformer en A.F.M. Le microscope à force atomique (Atomic Force Microscope, pour les intimes) permet de résoudre cette limitation imposée. Ce microscope mesure la force électrique agissant sur la pointe plutôt que le courant transmis par celle-ci. Comme on pouvait s’en douter, cette force dépend elle aussi de la distance séparant la pointe de la surface. L’A.F.M. possède donc des capacités comparables au S.T.M. sans toutefois ses inconvénients.

Graphite
Ici, une surface de graphite balayée par le S.T.M. Portez votre attention sur les formes hexagonales des liaisons carboniques. Observez que trois des six atomes, reposant sur les anneaux de carbones, semblent plus petits ou plus bas. Il n'en est rien. Rappelez-vous, le S.T.M. mesure la présence des électrons. Dans ce cas-ci, la moitié des électrons effectue une liaison avec les autres « anneaux », c'est pourquoi leur distribution électronique est différente et que les électrons de ces carbones semblent moins « denses ».

    Mais le S.T.M. reste encore intéressant, car en ajustant le voltage appliqué, il devient possible de déplacer les atomes un à un. On peut ainsi extraire un atome de sa surface, le déplacer et appliquer une force répulsive pour le déposer à un autre endroit. De cette façon, on « agence » les atomes de différentes façons. Certains ont créé des « cages » à électrons et, en diminuant les proportions de ces cages (voir la première page), ils restreignent les particules chargées à se déplacer dans deux, une seule ou même aucune (point quantique) dimension! Cela se nomme le confinement électronique, une des applications les plus directes de cette technologie. L’univers des nanostructures nous ouvre ses portes. Les grandes compagnies rêvent de circuits intégrés de la taille de quelques nanomètres et, en ce sens, s’ébauchent à concevoir des S.T.M. pouvant effectuer des tâches plus rapidement, soit une espèce de chaîne de montage à l’échelle atomique. Verrons-nous un jour des robots nanoscopiques effectuant pour nous des manipulations atomiques d’une grande utilité… qui sait?
Représentation d'un confinement d'ondes électroniques
Un corail quantique, constitué de 48 atomes de Fer, repose sur une surface de cuivre. Cette structure, de 143 nm de diamètre, sert à confiner des ondes électroniques.


DWM

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