L'Attracteur No. 8 Automne 1999 | LA REVUE DE PHYSIQUE |
ISSN 1207-0203 |
Un moment avec Alexandre Blais
Peux-tu m'expliquer un peu ton projet de maîtrise?
Quand j'ai commencé ma maîtrise, je devais travailler sur la correction quantique d'erreurs. Au fur et à mesure qu'un ordinateur quantique fait des calculs, il survient des erreurs et il faut réussir à les corriger. Beaucoup de problèmes sont dus au fait que l'on est en présence d'information quantique. C'est ce sur quoi je m'attardais au début. Par la suite, j'ai touché à des sujets reliés au paradoxe EPR, c'est-à-dire sur l'aspect non local de l'information quantique.
Peu de gens travaillent sur ces sujets à l'Université de Sherbrooke (en fait, seulement trois en me comptant) et, même avec l'aide de mes superviseurs, il était difficile d'aller très loin dans ces études. Cependant, il y a quelques mois, j'ai rencontré Alexandre Zagoskin, qui est présentement à UBC (University of British Columbia). Il était venu donner le cours « Problèmes à N corps » au niveau du doctorat. Zagoskin travaille sur les systèmes mésoscopiques et en particulier sur les jonctions Josephson.
En bref, l'effet Josephson est caractérisé par un courant spontané qui circule dans une jonction formée de deux supraconducteurs séparés par une mince couche isolante. |
Il s'est rendu compte qu'avec un arrangement spécial de ces jonctions, on peut faire quelque chose qui correspond à un qubit, qui possède donc deux états que l'on associe au 1 et au 0. En discutant avec lui, j'ai commencé à m'intéresser à ce sujet, car il concrétisait les notions que j'avais vues. Peu à peu, j'ai étudié les opérations logiques de base de ce système, ce qui composera une bonne partie de mon mémoire.
Regrettes-tu un peu d'avoir changé de direction après tant de travail?
Pas du tout, car toutes les notions que j'avais acquises m'ont servi pour mes nouvelles recherches. Si je n'avais pas accumulé tout ce bagage de connaissances, je crois qu'il m'aurait manqué quelque chose.
Que veux-tu faire après ta maîtrise?
En principe, je devrais finir ma maîtrise au mois d'août 1999. Ensuite, je devrais commencer un doctorat. Ce diplôme est nécessaire si je veux continuer à faire de la recherche en informatique quantique, car il n'y a pas vraiment de débouchés sur le marché du travail pour quelqu'un qui a seulement une maîtrise dans ce domaine.
Parlons un peu de l'ordinateur quantique. Quels sont ses avantages et ses inconvénients?
Le gros avantage de l'ordinateur quantique par rapport à sa contrepartie classique est la superposition d'états dans laquelle peuvent exister les qubits. Cela entraîne le parallélisme quantique. Par exemple, si on veut calculer la fonction f(x) avec trois bits, on devrait faire 23 calculs pour avoir les huit réponses possibles avec l'ordinateur classique. Par contre, il suffit de préparer convenablement l'ordinateur quantique pour qu'il fasse tous ces calculs d'un seul coup, ce qui est beaucoup plus rapide. Par le même principe, si on avait 100 bits, utiliser l'ordinateur classique nécessiterait 2100 calculs (environ 1030), tandis que l'ordinateur quantique serait capable de faire tous ces calculs parallèlement après une préparation adéquate.
Cependant, l'ordinateur quantique entraîne aussi quelques inconvénients. Le plus important d'entre eux est la décohérence, ce qui veut dire que l'information se perd dans l'environnement. Il y a deux moyens pour résoudre ce problème : très bien isoler le système de son environnement ou essayer de corriger les erreurs quantiques le plus rapidement possible au fur et à mesure que les calculs progressent.
Quelles pourraient être les applications pratiques de l'ordinateur quantiques?
Jusqu'à maintenant, peu d'algorithmes ont été conçus. La difficulté vient du fait que notre intuition, basée sur le monde classique, ne peut pas nous aider dans cette tâche. Il y a deux algorithmes principaux : l'algorithme de Shor, qui serait un atout pour le décryptage, et l'algorithme de Grover. Celui-ci nous apprend qu'il ne faudrait qu'environ n½ essais à l'ordinateur quantique pour trouver un objet parmi n objets. Une autre application possible de l'ordinateur quantique est la simulation de systèmes quantiques. Pour l'instant, les chercheurs qui désirent faire de telles simulations sont limités à des systèmes physiques de très petites tailles, qui demandent des heures et des heures de calculs. Avec un ordinateur quantique, ces simulations seraient beaucoup plus faciles.
Crois-tu que l'ordinateur quantique remplacera l'ordinateur actuel?
Non. De la façon dont je vois les choses, je crois que l'on conservera l'ordinateur classique, mais en y intégrant un coprocesseur quantique. Ainsi, on bénéficierait des qualités de l'ordinateur classique en plus d'avoir les avantages de l'ordinateur quantique. L'ordinateur classique effectuerait les calculs qu'il sait bien faire et il transférerait les données d'entrée au coprocesseur quantique lorsqu'il ne serait pas en mesure de faire certains calculs non réalisables efficacement sur l'ordinateur classique. L'ordinateur serait donc basé sur « l'entraide » entre les deux systèmes au lieu d'avoir deux systèmes complètement distincts.
Quand tu étais petit, tu ne devais sûrement pas vouloir devenir physicien. Alors que voulais-tu faire comme métier?
Quand j'étais petit, je voulais être inventeur! J'aimais bien la géographie et toutes les sciences naturelles. Il faut dire que lorsqu'on est jeune, il nous est plus facile de s'émerveiller devant un animal que devant un qubit! Rendu au cégep, je ne savais pas encore exactement ce que je voulais faire et j'ai finalement choisi la physique, car je trouvais que c'était ce qu'il y avait de plus fondamental. C'est quelque chose qui rejoint tout!
Quel est le plus beau souvenir de toutes tes années d'études en physique à l'Université de Sherbrooke?
J'ai plusieurs beaux souvenirs, mais je crois que c'est de l'ambiance dont je vais me rappeler le plus longtemps. On avait un beau groupe. On étudiait beaucoup, mais on s'amusait aussi. En plus, les professeurs étaient très accessibles. Mes trois stages font aussi partie de mes bons souvenirs. J'ai fait les deux premiers dans le groupe des couches minces du CNRC, le Centre National de Recherche du Canada, à Ottawa. Ce groupe travaillait, entres autres, sur les filtres optiques et les écrans plats. Puis, j'ai fait mon troisième stage en chimie, ici, à l'Université de Sherbrooke. Je devais mettre en place un système à vide d'après les plans déjà élaborés, tout en donnant mes idées autant sur son design que sur sa conception.
Quel conseil donnerais-tu à quelqu'un qui hésite à faire des études en physique?
Je crois que je lui dirais qu'en physique, il ne faut pas avoir peur de travailler! Après lui avoir fait peur un peu, je lui dirais que la physique, c'est vraiment plaisant. La première année, c'est surtout de l'approfondissement du collégial, mais rendu aux cours de quantique et aux derniers cours du bac, c'est vraiment là que l'on commence à s'amuser! À ce moment-là, tu vois que tout ce que tu as appris sert à quelque chose et que tout se met en place. C'est très satisfaisant. Il suffit d'avoir le goût de travailler et le courage de se dire: « Je consacre trois ou quatre années à travailler fort, je relaxe un peu pendant mes trois sessions de stages et ensuite, j'en profiterai! »
Pour finir, plusieurs personnes se sentent menacées face à l'évolution si rapide de la science. Selon toi, devrait-on avoir peur de la technologie?
Non. Selon moi, l'humain n'est pas fait pour travailler 15 heures par jour. Je crois que la technologie est une façon d'aller vers une société où l'homme pourra profiter de plus en plus de la vie. C'est sûr qu'il ne faut pas tomber dans l'excès des films de science-fiction, où tout est électronique, sans verdure, et je pense que c'est ce qui effraie les gens. C'est vrai que l'histoire ne nous a pas toujours donné une belle image de la science, comme dans le cas de la bombe atomique, mais il y aura toujours des gens qui utiliseront de belles théories pour faire du mal. Si ce sur quoi tu travailles peut servir à faire du bien, je ne vois pas pourquoi on devrait en avoir peur.
Bref, on ne devrait pas craindre la science, mais bien ceux qui pourraient en abuser! Merci beaucoup Alexandre pour le temps que tu m'as consacré. Continue à transmettre ta passion et bonne chance dans tes futurs projets!
Marie-Ève Gosselin j