L'Attracteur     No. 14     Hiver 2003
LA REVUE DE PHYSIQUE
ISSN: 1205-8505

La cryogénie à Sherbrooke


Docteur en physique, le professeur Mario Poirier travaille à l’Université de Sherbrooke au sein d’un groupe de recherche qui se concentre sur l’étude de supraconducteurs plongés dans des champs magnétiques extrêmes.  Pour abaisser la température d’un échantillon au point où il devient supraconducteur (voir L’Attracteur hiver 2001), il est nécessaire d’avoir un excellent réfrigérateur.  Or, depuis quelques semaines, le laboratoire de M. Poirier s’est doté d’un nouvel appareil, le réfrigérateur à dilution. Il n’y a qu’une poignée d’appareils de ce type au Canada.  M. Poirier a bien voulu consacrer de son temps pour répondre à quelques questions concernant ce nouvel appareil.
Pouvez-vous nous expliquer le fonctionnement du nouveau réfrigérateur à dilution?
En premier lieu, examinons le fonctionnement d’un réfrigérateur à l’hélium liquide.  Pour abaisser la température de ce liquide cryogénique, il suffit de pomper la vapeur d’hélium dans le cryostat.  Pour comprendre ce phénomène, rappelons qu’à la surface de tout liquide, les deux phases (liquide et vapeur) sont en équilibre, c’est-à-dire, qu’il y a autant d’atomes du liquide qui s’évaporent que d’atomes du gaz qui se liquéfient.  En diminuant la pression du gaz d’hélium, l’équilibre est rompu et une partie des atomes du liquide à la surface utiliseront la chaleur du liquide pour s’évaporer.  Un nouvel équilibre s’installera, mais à plus basse température.  Par analogie, nous expérimentons ce phénomène chaque fois qu’une partie humide de notre corps est exposée à l’air.  Pour s’évaporer l’eau utilise la chaleur locale pour se transformer en vapeur et nous éprouvons alors une sensation de froid.
Graphique de la pression de la pression de vapeur saturante en fonction de la température
Théoriquement, il est possible d’atteindre de très basses températures en abaissant la pression, cependant ce moyen est limité techniquement.
Diagramme de phase d’un mélange d’3He et d’4He.
Selon la thermodynamique, voir le diagramme pression en fonction de la température ci-haut, ce moyen nous permettrait d’atteindre de très basses températures.  Cependant, le volume de gaz évacué à chaque minute par une pompe à vide diminue lorsque la pression baisse, limitant en pratique ce moyen de refroidissement.  Typiquement, on refroidit ainsi l’hydrogène de 20 K à 14 K et l’hélium de 4,2 K à 1,2 K.  Il existe un autre gaz formé uniquement de l’isotope le plus léger de l’hélium, noté 3He, qui permet de passer de 3,2 K à 0,3 K.  En mélangeant les deux isotopes, 3He (2 protons et 1 neutron) et 4He (l’isotope de loin le plus abondant, 2 protons et 2 neutrons), on s’attendrait à un résultat intermédiaire entre 0,3 K et 1,2 K en fonction du mélange.  Mais tel n’est pas le cas, je vais y revenir.
En deuxième lieu, examinons le diagramme de phase d’un mélange des deux isotopes de l’hélium (voir figure ci-contre).  En dessous de 0,87 K débute la phase de non miscibilité de certaines concentrations des deux isotopes.  Après un repos, un tel mélange contiendra deux phases superposées : en bas la phase à faible concentration d’3He (4He, plus lourd va au fond du contenant) et en surface, la phase à forte concentration d’3He.  Pour un atome d’3He, passer de la phase concentrée (notée C sur le diagramme) à la phase diluée (notée D) exigera de l’énergie (chaleur latente), tout comme un atome qui passe de la phase liquide à la phase vapeur.
Le fonctionnement du réfrigérateur à dilution repose principalement sur cette propriété de chaleur latente entre les deux phases liquides.  Avec un mélange initial de 30% en 3He, le liquide est refroidi par pompage.  À 0,5 K environ, on laisse la gravité séparer les deux phases, l’une concentrée en 3He (plus légère) en surface et l’autre diluée de ce même isotope au fond.  Le réservoir, appelé « enceinte de mélange », contient les deux phases du liquide.  Il est relié par un capillaire à un autre système, qui par un moyen fort ingénieux, réussit à extraire une proportion beaucoup plus importante d’atomes d’3He que ceux d’4He.  Il crée ainsi dans la phase diluée un manque d’atomes d’3He, « forçant » ainsi le transfert de ces atomes de la phase concentrée vers la phase diluée.  Cette opération est endothermique, c’est-à-dire que, tout comme pour l’évaporation, les atomes d’3He prélèvent de la chaleur au liquide pour réaliser ce transfert.  Avec de tels systèmes certaines équipes ont pu atteindre quelques milli Kelvin en continu.
Enceinte de mélange
Dans l’enceinte de mélange,coexistent deux phases liquides de l’3He et de l’4He.  Par un procédé ingénieux, on aspire les atomes 3He par un capillaire.  On « force » ainsi « l’évaporation » des atomes d’3He, créant ainsi un refroidissement.
Quelles seront les applications du réfrigérateur?
Le réfrigérateur servira principalement à la recherche en supraconductivité.  Pour devenir supraconducteur, le type de matériaux qui nous intéresse doit être refroidi à des températures très faibles.  Le cryostat à dilution nous servira à couvrir la plage de température entre 0,02 K et 2 K.
Quelles sont les plus basses températures à avoir été atteintes à l’Université de Sherbrooke?
Lors des premiers tests du réfrigérateur à dilution, nous avons obtenu une température de 12,5 mK.  Cependant, ces tests ont été effectués sans échantillon.
Merci M. Poirier pour vos précieux renseignements.
Schéma d'un réfrigérateur à dilution.
L’extraction de l’3He de l’enceinte de mélange
Pour extraire les atomes d’3He de la phase diluée, on relie, par un capillaire, l’enceinte de mélange à un autre réservoir, appelé évaporateur (voir ci-contre).  Dans ce nouvel environnement, on modifie les caractéristiques physiques (température et pression) afin de prélever par pompage le plus haut taux possible d’atomes d’3He par rapport à ceux d’4He.  En examinant la relation température en fonction de la pression des deux isotopes (voir le diagramme de la pression en fonction de la température de la page précédente), on voit qu’à environ 0,5 K, la pression de vapeur saturante de l’3He est beaucoup plus élevée que celle de l’4He.  Pour un fonctionnement en continu, l’3He extrait par cette technique est réinjecté dans l’enceinte de mélange après refroidissement dans l’échangeur de chaleur (voir schéma).
Gilbert Vachon et LCD f

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Isotope : Atome ayant le même nombre de protons, constituant donc un même élément chimique, et possédant un nombre différent de neutrons.